« Pourquoi t'es toute seule? »
Assise en tailleur dans un coin de la cour, je levai lentement la tête vers mon interlocutrice. C'était une petite blonde avec de grands yeux. Pourquoi elle venait me parler? Personne ne le faisait jamais, sauf pour se moquer de moi parce que j'étais toute seule. Sauf que si j’étais seule, c'est parce qu'ils ne veulent pas rester avec moi... Un cercle vicieux comme dirait maman, même si je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. Je ne comprends pas pourquoi ils ne m'aiment pas, je ne leur ai rien fait pourtant. Ils disent que je suis bizarre.. Mais ils le sont plus que moi.
Est ce que cette fille venait pour ça ? Je ne pense pas. Elle a l'air gentille.
« Parce que les gens ne m'aiment pas. Alors je préfère rester toute seule. Pourquoi tu viens me parler?
- Parce que je suis toute seule aussi.
- Ah. Tu veux qu'on soit tout seul ensemble? »
Ca n'a pas de sens ce que je viens de dire. Si on est ensemble, on est plus seul... Et ça c'est bien. Elle rigola, on aurait dit une petite fée. Elle s'assit à mes côtés, le sourire aux lèvres, tout comme moi.
« Moi c'est Maëlle.
- Et moi Elynne »
Elynne. J'aime bien. C’est original. On commença à parler, à jouer... Tout simplement, comme deux enfants de six ans savent le faire. On ne s'est plus quitté depuis. Même si les autres élèves continuaient à nous persécuter, on s'en foutait parce qu'on était deux. Ensemble, on était plus fort.
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Aujourd’hui, c’est un jour spécial. Ma maman elle m’a dit que cet après midi, on allait voir une madame qui s’appelait Madame Psychologue. Je sais pas pourquoi elle veut qu’on aille la voir, mais il ne doit pas être bien méchant. Elle dit que je devrais lui parler d’Elynne… Je ne comprends pas pourquoi, elle est gentille pourtant. Mais d’après maman elle « n’existe pas » pfff n’importe quoi ! Les autres de ma classe ils disent pareils. Ce qu’ils peuvent être bêtes. Mais j’ai remarqué que maintenant, ils m’ennuyaient moins. A présent, ils m’évitaient. Ils sont persuadés que je parle toute seule, c’est ça qui doit leur faire peur. Je ne les aime pas de toute façon, alors bon, je vais pas m’en plaindre.
« Pourquoi tu vas là ? C’est inutile.
- Je sais, mais je…
- Chérie, arrête de parler toute seule, tu vas faire peur aux gens dans la rue. »
Je baissai la tête. Quand je la relevai, Elynne n’était plus là. Elle a sûrement du partir sans que je le vois… Elle n’aime pas trop ma maman, c’est peut-être pour ça.
On arriva devant un immense bâtiment gris, triste, terne. Et vieux aussi. Surtout vieux en fait. On y entra et maman appuya sur un bouton à côté d’une plaque où il était écrit « Dr. Walzack. » avant de monter les escaliers. Une porte s’ouvrit et une madame rousse avec des dents bizarres en sortit. Elle ressemblait assez fort à la directrice de mon école en fait.
« Bonjour ! Tu dois être la petite Maëlle je suppose ? Entre, on va faire connaissance ! »
Je ne l’aime pas.
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« Je m'en fous! Je veux rentrer à la maison!
- Mais nous sommes à la maison Maëlle, quand vas tu le comprendre?
- Non, chez nous c'est en Irlande, pas ici.
- Hé bien alors fais toi à l'idée de rester ici, parce qu'on ne partira pas. »
Folle de rage, je montai dans ma chambre en claquant les portes afin de montrer mon mécontentement. Je préférais ne pas continuer le débat de peur d'en venir aux mains avec ma mère... Comment est ce possible d'être aussi bornée ?
Ca fait à présent deux mois que nous avons déménagé en France, près de la famille de ma mère. J'ai donc dû changer d'école, de fréquentations, de langue... Et j'ai franchement l'impression de revivre ma petite enfance. Pendant des années j'ai été seule, rejetée sans raison par les autres. Puis ma petite Elynne est arrivée... Elle est restée en Irlande évidemment. Malgré toutes les séances de psychothérapie pour me faire croire qu’elle n’était pas réelle, je continue de croire que je ne suis pas folle. Je la vois tout de même ! La seule différence est qu’avec l’âge et la maturité, j’ai compris que les autres ne me croiraient jamais. Alors j’ai fait semblant de ne plus la voir pour que mes parents me laisse tranquille. Bon, elle était un peu fâchée que je réagisse ainsi, mais je n’avais pas le choix ! Quoi qu’il en soit, mes parents avaient décidé il y a peu que « changer d’air » me ferait du bien, et que la maison que tante Jacqueline louait était l’occasion rêvée. Foutaise, c’est tout le contraire. Je suis de nouveau seule et je ne le supporte plus. C'est horrible.
M'asseyant sur mon appui de fenêtre, la solution me vint en regardant le peu d'étoiles dans le ciel. Si mes parents ne voulaient pas partir, je le ferai sans eux. Notre ancienne maison n'était pas encore vendue, je pourrais donc y habiter. Bon, maintenant comment je vais y aller sans permis de conduire et comment je ferai une fois sur place, c'est une autre histoire. Peut être commencer par aller chez tante Jaja pour qu’elle m’y conduise ? Aucune idée. Pas le temps de réfléchir de toute façon, j'étais déjà dans la rue après avoir sauté de ma fenêtre. Heureusement qu'elle était située au rez-de-chaussée. Je mis mes écouteurs pour oublier le froid glacial qui agressait mon petit corps frêle d’à peine 15 printemps…
Il était plus de minuit et je marchais en t-shirt, sans but, dans la nuit noire de février. Je crois que je vais décéder.
[…]
« Oh mon dieu ma chérie tu es gelée! Non mais tu te rends compte de ce que tu viens de faire? On a eu la peur de notre vie ton père et moi! Maëlle? Tu m’écoutes ? Tu vas bien ? »
Ai-je l'air d'aller bien, sérieusement? J'avais de marcher toute la nuit, pour finalement abandonner lâchement et m'asseoir sur le trottoir. Mes parents n'ont même pas appelé la police, ils savent très bien que je ne suis pas une grande sportive et que je n'irais jamais plus loin que la maison de monsieur Jonlet. Ce dernier nous regardait d'ailleurs à travers sa fenêtre et ses grosses lunettes, intrigué, pensant être discret. Mais je n'en avais rien à faire. J'étais fatiguée, lasse et déprimée. Dans deux jours c'est lundi. Dans deux putains de jours ça recommence. La fatigue aidant, je me mis à pleurer. Je pris ma mère dans mes bras sous le regard suspect de mon père... Et de monsieur Jonlet.
« Je veux rentrer... Je t'en prie maman, retournons à la maison. »
Je ne sais pas si c'est de la pitié ou de la compassion, mais elle murmura « Oui... On va rentrer chérie. ». J'espère que ce n'est pas qu'une promesse en l'air.
Il se mit à pleuvoir. J'étais toujours en tee-shirt... Ca va être une très mauvaise journée.
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« Tu l’entends ? Bien sûr que tu l’entends. Le murmure. Le murmure assourdissant et permanent. Il a envahit la ville et les esprits. Il arpente les rues en hurlant. »
Le sourire aux lèvres, je répétai, encore et encore les paroles de cette chanson française qui m’est si chère. Bien que l’absence de rimes soit flagrante, elle voulait dire tellement de choses pour moi… Vous croyez au concept d’une « nouvelle vie » ? Moi oui. J’ai à présent 19 ans et la maturité qui va avec. J’ai compris que l’Irlande n’était pas faite pour moi… Malgré toute mes tentatives de jeunesse pour y retourner. Après quatre nouvelles années passées dans ma maison d’enfance, j’ai compris que les personnes qui vivaient dans cette ville ne pourraient jamais m’accepter. Et moi non plus, note bien. On a appris à se détester mutuellement, et ça ne changera jamais. J’ai donc décidé de partir pour Londres, et de m’inscrire dans une université d’arts. L’école parfaite quoi ! Je pourrais enfin être sur le devant de la scène… Et peut-être même en faire mon métier. Bref.
« Le murmure assourdissant et permanent, comme un bruit parasite à l’intérieur qui t’épuise, qui souffle à l’oreille de chacun « t’es mauvais, t’es bon à rien, tu seras jamais assez bien »… Qui te répète « t’es comme ça, ou tu devrais, ça changerait rien si tu changeais ». »
Vous vous demandez sûrement ce qu’est devenue Elynne. Pas de changement. On s’est retrouvées il y a de ça quatre ans et elle m’a suivie à Londres. Néanmoins, je commence à avoir quelques doutes sur son existence… Peut-être est-ce un fantôme ? Aucune idée. Dans le doute, je ne parle d’elle a personne, de peur qu’on me prenne encore pour une folle.
« Le murmure assourdissant et permanent qui espère te mettre à terre en te criant : « Essaie pas de refaire l’histoire, t’y arriveras jamais c’est trop tard, c’est baisé, c’est imprimé dans les mémoires ». Le murmure assourdissant et permanent qui te fait croire qu’y a pas de rédemption. Pas de pardon. Pas de rachat. Pas de rémission. Et tu l’acceptes. Tu le laisses rentrer. »
Mon cours d’histoire du cinéma commence dans dix minutes. Je me levai de mon lit, fis un bisou sur la petite tête humide de Loki, et sortis. Les couloirs grouillaient déjà de monde. Je sais pas pourquoi, mais je sens que ça va être une bonne journée.