SHEFFIELD, ENGLAND, THIRTEEN YEARS AGO ∞ L'odeur de la peinture et la douce mélodie qui s'échappe du piano au gré des doigts de mon père qui vagabondent sur les touches d'ivoires m'apaisent. Je n'ai que sept ans mais, je sais déjà qu'il n'y a rien d'autre que j'aime plus sur Terre que cette atmosphère. Ou peut-être la danse bien qu'à mon âge, elle ne soit qu'une passion parmi tant d'autre. « Tu veux essayer, Skipper ? » Le regard de mon géniteur se pose sur moi tandis que mes yeux sont toujours inlassablement attirés par ses mains qui se mouvent sur l'instrument du salon. Machinalement, ma tête bouge de bas en haut pour acquiescer et je viens prendre place à ses côtés. Vu d'ici, le piano est bien plus imposant que je ne me l'était imaginé et je ne sais que faire de mon corps par peur d'effectuer un mouvement de travers. « Ne t'inquiètes pas, je vais te guider. » Son sourire rassurant me met tout de suite plus à l'aise et il commence à me montrer les notes de base par des gestes assurés qui m'hypnotisent. Vainement, je tente de l'imiter mais, rien n'y fait, la douce mélodie qu'il parvient à tirer de l'instrument ne semble pas vouloir s'ouvrir à moi. Cela le fait rire et, par conséquent, je commence à afficher une mine boudeuse. « Il semblerait que tu sois plus doué pour la danse que la musique mon chéri. » Depuis l'encadrement de la porte, ma mère me fixe avec un air amusé. Son tee-shirt tout comme sa peau sont parsemés de tâches de peinture, ne laissant aucun doute quant à son activité précédente. J'aimerais savoir dessiner comme elle le fait ou parvenir à jouer de la musique à la manière si aisée de mon père mais rien de tout cela ne semble fait pour moi. « Je crois que je vais aller danser dans le jardin. »
SHEFFIELD, ENGLAND, TWO YEARS AGO ∞ « Tu rentres bien tard ce soir dis-moi. » L'air malicieux affiché par la peintre de la famille ne laisse aucun doute quant à ce qu'il se passe dans sa tête. « Cesse de te faire de faux espoirs, il n'y a pas de garçon là dessous. J'ai juste du faire des heures supplémentaires au restaurant. » Sa mine change du tout au tout suite à ma phrase, vite remplacée par la moue soucieuse propre aux mères inquiètes pour leur bambin. « Skip, tu travailles beaucoup trop. Ton père et moi pouvons nous arranger pour t'aider tu le sais bien ! » J'esquisse un sourire qui se veut rassurant à son intention et m'approche d'elle pour pouvoir lui déposer un baiser sur le front, en profitant pour jeter un coup d’œil aux ébauches de dessin disposées devant elle. « Et c'est moi qui travaille trop. » Je retins un léger rire, attrapant entre mes doigts l'une des feuilles sur laquelle on peut sans mal apercevoir mon père jouant passionnément de la guitare. « J'aimerais être aussi doué que vous. » Je sens le regard noisette de mon interlocutrice se poser sur moi de manière insistante jusqu'à ce que je daigne me retourner dans sa direction. Je sais parfaitement ce à quoi elle pense et ne parviens pas à retenir le soupir qui s'échappe de mes lèvres. « On en a déjà parlé. Tu pourrais entrer dans une école de danse si seulement tu avais plus confiance en toi et ton talent. » Je hausse les épaules, préférant ne pas lui répondre et ainsi contourner cette pente un peu trop glissante qu'est ce sujet sur lequel on vient de dériver. « Je vais aller me coucher. J'ai cours tôt demain matin. » Déposant un second baiser sur son front, je décide d'ignorer son air désapprobateur. Les chances pour que je devienne professionnel sont tellement minces que je ne peux me le permettre.
LONDON, ENGLAND, FEW MONTHS AGO ∞ Cigarette entre les doigts, j'inhale la fumée plus par besoin que par envie, fixant la façade du bâtiment qui se dresse devant moi. Ils y sont parvenus finalement, j'ai craqué. « Mais qu'est-ce que je fou là ? » Deux semaines, deux longues semaines que j'ai intégré cette université d'arts et autant de temps passé à me demander pourquoi je suis ici. J'adore ça, pouvoir étudier la danse, exercer ma passion jour après jour mais, au fond, je sens que ce n'est pas raisonnable. Le tabac termine de se consumer bien plus rapidement que je ne l'avais pensé et je prends une grande inspiration tandis que j'écrase nonchalamment le mégot sur le trottoir. Malgré ce que ma conscience ne cesse de me dicter, je ne peux que me rendre compte à quel point j'adore le sentiment qui me traverse lorsque je franchis la porte d'entrée pour partir à l'assaut des dédales de couloirs encore un peu trop semblables à un labyrinthe pour le petit nouveau que je suis. « Skip ! Dépêche toi, le cours va commencer ! » Je souris à la jeune fille qui vient de passer la tête à l'extérieur de la salle de danse contemporaine que je m'apprêtais à rejoindre. Elle parle beaucoup. Un peu trop mais elle est pour l'instant celle qui se rapproche le plus d'une amie pour moi dans cette école et je dois avouer que je l'aime assez bien. « T'en fais pas je gère. » Mon interlocutrice me tape amicalement le bras avant de s'éloigner pour réaliser ses échauffements tandis que j'ôte mon sweat, me retrouvant ainsi dans une tenue appropriée à l'activité à venir. Rapidement, je vais prendre place à côté de la brune d'un peu plus tôt, entamant mes étirements avec grand soin. « J'espère que vous êtes en forme aujourd'hui parce que vous allez souffrir. » Quoi de mieux pour bien commencer la journée.
LONDON, ENGLAND, YESTERDAY MORNING ∞ Les cadavres de bouteilles, le bordel général et l'odeur de tabac froid qui règnent en maitre dans l'appartement ne laissent aucun doute quant à ce qui a bien pu se passer ici la veille. Lloyd me tuera un jour. Tant bien que mal, j'essaye de me frayer un chemin jusqu'à ma chambre afin d'y déposer mon sac de sport avant de me diriger dans la pièce voisine où dort mon colocataire. « Bouge toi gros flemmard, t'as du nettoyage à faire. Je peux pas sortir une soirée sans que tu fasses n'importe quoi sérieux, t'es pire qu'un gamin. » J'en profite pour tirer les rideaux, laissant la lumière passer au travers de la fenêtre tout en bougeant du bout du pied un tee-shirt sale qui jonche le sol. Ce mec est vraiment le gars le plus désordonné que j'ai jamais vu. Doucement, sa tête émerge de dessous les couvertures et son regard se porte vers le réveil, inutile soit dit en passant, posé sur la table de chevet. « Merde Kip, t'es malade ! Il est que huit heures. » Je lui tire la langue tandis qu'il se replace sous la couette dans un soupir blasé. Une fois au dehors de la caverne des horreurs et le café lancé pour Lloyd, j’entreprends de mettre à la poubelle la majeure partie des déchets qui trainent dans le salon. Je me fais toujours avoir. Ce n'est qu'au bout d'une demi-heure que mon charmant colocataire, encore endormi, se décide à pointer le bout de son nez. Instinctivement, il se dirige vers la cafetière sans prendre en compte mon regard noisette fixé sur lui. « C'est bon, je sais bien que tu penses que je ne suis qu'un gamin immature. » Il ne semble pas remarquer mon léger haussement d'épaule et j'attrape un énième contenant en verre bien caché sous le canapé. « Tu devrais aller te préparer. On est lundi, t'as cours ce matin. »